Un nouveau regard sur les adolescents, selon deux éducateurs Montessori 12-18 ans
Nous avons échangé avec Manuel et Maxime, éducateurs Montessori 12-18 ans, responsables du Centre d’Etudes et de travaux Montessori pour les adolescents, situé à Chavannes-sur-Reyssouze (01).
Manuel et Maxime ont tous les deux enseigné auparavant dans le secondaire.
Le Centre d’Etudes et de Travaux Montessori accueille les adolescents (12-18 ans), avec actuellement une Communauté de 12 jeunes de 12 à 16 ans, dans une ferme en cours de rénovation. La vie au Centre repose sur trois piliers : la vie résidentielle, les activités de production et d’échanges, ainsi que les études.
Manuel et Maxime expliquent que les adolescents vivent une période créative intense, pendant laquelle toutes les tendances humaines sont intensifiées. Pendant environ 30 mois, l’adolescent créé les fondements en lui et pourra ensuite rentrer dans une phase de développement. Les adolescents cherchent du sens, de la clarté et de la vérité. Ils construisent leur avenir.
Si pendant cette période, l’adolescent est entouré de messages partiellement clairs, liés à un imaginaire galvaudé et une vision de la réalité qui n’est pas fondée, il continuera à chercher du sens à ce qu’il vit. Il dispersera son énergie et nous observerons de la nervosité.
Les piliers de la société adulte lui causent du tort pour faire ses choix et ne lui offrent pas ce dont il a besoin.
Un adolescent n’a pas les besoins d’un adulte ni ceux d’un enfant. Les adultes ont façonné un environnement pour les adultes, géré par le rythme des adultes. Ils voient les adolescents comme des enfants qu’ils ne sont plus.
Les jeunes ont besoin d’être compris et d’un environnement qui leur convienne pour pouvoir se développer eux-mêmes.
Le besoin d’un travail engagé
Les adolescents ont besoin de s’impliquer dans un travail engagé qui a du sens, d’un travail répétitif qui représente un intérêt.
Le besoin de précision
Le flou d’un environnement qui n’est pas adapté est une source de dispersion de leur énergie. Il s’agit de réaliser une activité à la fois, avec précision et d’aller jusqu’au bout.
Au Centre d’Etudes et de Travaux Montessori, les jeunes préparent tous les repas dans le cadre de leur vie résidentielle. La vie pratique dans la cuisine, qui doit être tenue propre et rangée, répond à ce besoin de précision. La cuisine est intransigeante, car il faut respecter les mesures d’hygiène, être précis et aller jusqu’au bout de l’activité. Le contexte social et la répétition permettent le raffinement des actions. La cuisine offre des activités structurantes et permet l’activité intelligente, comme les exercices de vie pratique le sont pour les très jeunes enfants.
La gestion du temps est aussi une part importante de l’apprentissage à cet âge. Il faut par exemple s’organiser pour que le repas soit prêt à l’heure.
L’environnement aussi doit être précis : c’est un lieu dans lequel on peut se repérer par la clarté des informations qu’on y trouve. Vivre dans un environnement clair, soigné et simple apaise les jeunes et favorise des relations harmonieuses.
Le besoin de manipulation
De 6 à 12 ans, ils étaient physiquement très stables et ont pu se développer au niveau mental. Maintenant, ils vivent de gros bouleversements physiques. Ils ont besoin d’un retour à la minutie physique : comme verser de l’eau sans en renverser, le service de la nourriture sous ses différentes formes à un niveau plus élevé. La coordination du mouvement, qui est centrale de 0 à 6 ans, doit être retrouvée.
Le besoin d’organisation
Les jeunes doivent pouvoir être responsables de l’organisation. Cela ne veut pas dire que tout vient d’eux. L’adulte a une vision d’ensemble à chaque fois que cela est utile.
Manuel et Maxime racontent qu’au Centre, il y a des administrateurs par domaine d’activités : jardin, animaux, économie, hospitalité, communication et productions.
Leur travail d’éducateur est d’aider chaque administrateur à avoir une vision d’ensemble et identifier les différents éléments et les étapes : le lieu pour produire, le lieu pour vendre les produits finis, etc. L’argent des ventes entre ensuite dans l’économie de la communauté, et donne lieu à des investissements. L’ensemble de cette administration apporte du sens au travail.
La mission des adultes est d’aider les adolescents à grandir, de leur construire des points de repères. Manuel et Maxime constatent que l’énergie des jeunes du Centre se mobilise pour gérer la maison et les productions.
Les adolescents deviennent responsables de la dynamique. Cela prend du temps.
Besoin de se sentir utile
Les jeunes ont besoin de se sentir utiles dans leur environnement.
Toute l’organisation doit leur permettre de travailler ensemble dans une division du travail.
Ils ont chacun leurs axes, qui peuvent correspondre à des points forts pour lesquels ils sont mis en valeur ou à des points pour lesquels ils vont apprendre et se développer.
Ils travailleront soit avec un adulte soit avec un adolescent plus expérimenté. Cette organisation leur permet de se dire qu’ils sont capables d’apporter quelque chose à un groupe, qu’ils y contribuent.
C’est le chemin vers l’indépendance sociale : ensemble on est capable de faire énormément de choses !
Besoin d’indépendance économique
L’économie, c’est d’abord l’intelligence du lieu, ce dont l’environnement a besoin. Nous consommons beaucoup de nourriture, qui est un axe important. La logique économique serait de penser tout de suite à la produire et à la vendre. Au Centre, l’idée est de produire ce qu’ils vont mettre dans leur assiette : pommes de terre, oignons, carottes, salade, etc. Manuel et Maxime recherchent la cohérence entre ce que les jeunes consomment et ce qu’ils produisent.
Besoin de liberté et de prise de responsabilité
Comme les enfants des deux premiers plans de développement, les adolescents ont, sans aucun doute, besoin de liberté. Il faut y associer le besoin de prendre des responsabilités. Les adolescents prennent soin du lieu où ils vivent et travaillent. Ils l’entretiennent et l’améliorent.
Ils prennent cette responsabilité ensemble : ils décident ensemble, s’organisent, se partagent les tâches, aidés par les adultes. La prise de conscience de leur propre responsabilité arrive progressivement.
Besoin de perfectionnement
On observe une appétence naturelle vers la perfection lorsque la liberté et la responsabilité sont réunies. Il y aura des erreurs sur le chemin mais en dehors d’un gâteau pas cuit, Manuel et Maxime sont là pour veiller à leur sécurité.
Besoin d’une communication claire et précise
Manuel et Maxime soulignent que le discours des adultes doit être court, précis, vrai et lié à l’expérience.
Besoin de repos et d’apprendre à son rythme
Lors de l’adolescence, il existe à certains moments une indisponibilité intellectuelle car l’énergie est prise par le développement hormonal et physique, lié à la croissance. L’intellect est bien là mais n’est pas toujours disponible entre 12 et 15 ans. Ce n’est donc pas la meilleure période pour se concentrer sur les apprentissages académiques de manière conventionnelle.
Cependant, dans un environnement social adapté aux adolescents, les apprentissages comme l’orthographe et les éléments de la culture – en lien avec les expériences qui ont du sens – progressent.
Ils ont besoin de valorisation et d’évoluer dans un environnement paisible.
Quel environnement devrions-nous offrir aux adolescents ?
Pour Manuel et Maxime, l’environnement doit leur permettre de prendre en charge les choses et d’en assumer la responsabilité. Il s’agit d’un environnement « non préparé » préparé autrement dit : un lieu sécurisé est mis à la disposition du groupe d’adolescents, avec le matériel et les outils nécessaires, mais c’est à eux qu’il revient de créer l’environnement selon leurs souhaits, de le transformer et de le gérer, accompagnés par des adultes bienveillants. Cet environnement permet le travail et la responsabilisation.
Les adultes assurent le cadre de calme et de sécurité.
Manuel et Maxime expliquent : « Nous ne sommes ni leurs amis ni leurs parents. Pendant les 5 jours par semaine qu’ils vivent au Centre, nous nous assurons qu’ils aient un cadre leur permettant de se développer. Le Centre est leur maison.
Les adolescents observent beaucoup les adultes et regardent s’ils travaillent ou pas. Notre rôle est aussi de montrer que le travail est quelque chose de positif, d’agréable, qu’il amène sérénité et stabilité. Si les adolescents voient que nous faisons notre part de travail, à la fois le travail lié à l’entretien de la maison et notre travail d’adulte, ils verront quelle est leur part de responsabilité et leur part de travail.
Pour les plus jeunes et les nouveaux, l’accompagnement va être très proche. Nous allons montrer et faire ensemble. Progressivement, ils pourront être capables de réaliser une étape, puis deux étapes, puis l’ensemble de l’activité en toute autonomie. Ils sauront demander de l’aide pour les étapes qui restent difficiles.
Derrière chaque activité (cuisine, linge, repassage, etc.) va se développer une logique, une posture d’attention, un ordre logique pour faire les choses et la maîtrise de l’utilisation des outils. Notre rôle est de les aider à construire cette logique et à les accompagner sur le chemin du perfectionnement. Il nous faut laisser les forces créatrices de chaque adolescent opérer et donner du temps pour qu’elles se déploient »
Selon Manuel et Maxime, la numérisation et de la digitalisation des relations impliquent que tout est biaisé dans le fond et la forme. Les sujets de conversation ne sont pas les mêmes. Quand ils sont face à face, sans écran interposé, cela leur prend du temps pour développer des sujets de conversation intéressants. Tout est très pauvre dans le virtuel en terme relationnel et il est important que les jeunes se retrouvent entre eux de manière réelle. Ils ont besoin d’ancrage.
Les jeunes ont besoin d’un espace concret dans lequel ils peuvent faire ensemble des choses utiles qui les valoriseront (comme œuvrer dans une association, faire du théâtre, du sport, de la musique…). Ils ont besoin d’être ensemble tous les jours et de gagner en indépendance.
Au Centre, ils utilisent les écrans pour le travail et communiquent avec l’extérieur avec le téléphone de la ferme. Les téléphones portables ne sont pas utilisés.
Les adolescents ont besoin d’expériences concrètes qui ont du sens et la société actuelle non seulement ne le permet pas mais les en empêche, car faire des expériences c’est prendre des risques et on en a besoin pour se construire. Il faut laisser l’occasion à l’adolescent de faire des expériences, d’aller au stade à vélo, de se promener avec ses amis…
Quel conseil pourrait-on donner aux parents ?
Maxime et Manuel : « Nous encourageons les adultes à observer l’adolescent, qui n’est plus un enfant et pas encore un adulte, et à comprendre ses besoins ».
Nous remercions Manuel et Maxime pour leur partage.
Amélie POULIN
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