La liberté est un des concepts les plus importants et les plus mal compris de la pédagogie Montessori.
Pour la plupart d’entre nous, nos souvenirs d’école ne sont pas associés à l’idée de liberté. La méthode éducative la plus répandue est basée avant tout sur la contrainte : on doit être assis, immobiles, silencieux. L’activité est choisie par l’enseignant et doit être réalisée dans des paramètres strictement définis.
Cette contrainte se retrouve le plus souvent dans notre vie professionnelle. Que vous soyez indépendant et deviez répondre aux demandes d’un client, ou salarié et obéir aux injonctions d’un supérieur, le monde du travail est rarement basé sur la liberté.
Les vacances, que l’on soit enfant ou adulte sont particulièrement chéries pour la liberté qui est justement reconquise : l’absence de contraintes, le choix retrouvé des activités à faire ou ne pas faire…
L’idée de baser un système éducatif sur la liberté provoque donc souvent un lever de sourcil dubitatif tant elle semble un contrepoint de l’expérience vécue par la majorité.
Elle est pourtant cohérente avec l’idée de Maria Montessori de fonder sa méthode non pas sur une transformation d’un modèle éducatif déjà existant, mais sur le respect des lois du développement humain.
Pour la plus grande partie de son histoire, et pour certains peuples sur Terre encore aujourd’hui, l’humain était un chasseur-cueilleur.
Il consacrait une partie de sa journée à glaner fruits, racines et tiges, à ramasser insectes et coquillages et ponctuellement à chasser des proies animales. Une autre partie de son temps était dédiée à la fabrication d’outils et au maintien de ceux existants.
Quand les anthropologues observent les tribus qui vivent encore aujourd’hui de cette façon, ils observent que ce temps de travail imposé par les besoins vitaux ne prend pas énormément de temps (selon les estimations, toutes les tâches domestiques additionnées arrivent à une quarantaine d’heure par semaine). Ces peuples, ainsi que nos ancêtres, avaient énormément de temps de loisir. Et même à l’intérieur du temps de travail nécessaire à la survie, ils disposaient d’une très grande autonomie sur la manière de répondre à ces objectifs. Que ce soit le glanage, la cueillette ou la chasse, ces tâches nécessitaient de la créativité, de l’observation, et un peu d’aventure.
Les enfants dans ces tribus se joignent aux adultes quand ils le peuvent et apprennent en faisant, en jouissant du même niveau de liberté.
La sédentarisation, l’agriculture, l’urbanisation puis la spécialisation du travail et l’industrialisation va petit à petit augmenter le niveau technologique des groupes humains, leur apporter une certaine sécurité et une abondance matérielle, au prix d’une perte de l’autonomie et de la liberté. Dans la société urbaine industrielle du 21ème siècle, le niveau de complexité du système est tel que chacun doit tenir un rôle précis.
Pourtant, même au sein de notre société complexe et contrainte, les expériences montrent que les humains gardent un grand besoin d’autonomie.
Transformer les humains en machine qui répètent sans cesse le même geste sans réfléchir est délétère pour la santé mentale. Sur le long terme, c’est même mauvais pour la productivité puisque la répétition fait baisser l’attention et va causer des erreurs.
L’école telle qu’on la connait aujourd’hui est née à l’ère industrielle et reprend les codes de la chaîne de montage, et le même niveau de contrainte exigée des premiers ouvriers a été transférée aux enfants.
Maria Montessori aborde donc l’idée de liberté dans sa méthode éducative comme un retour à cette nature humaine dont elle cherche à réaliser le potentiel. Là où l’humain façonne, usine et transforme les ressources pour en révéler leur pleine puissance, il va avoir besoin au contraire de faire un pas en arrière quand il s’agit d’éducation. Les humains, contrairement aux choses, ont une subjectivité, une agentivité. Ils ont besoin d’être reconnus en tant qu’individus, et accordé une part de liberté pour pouvoir exprimer ce qui les rend unique, pour trouver toutes les ressources à l’intérieur d’eux-mêmes.
En effet, on imagine bien la nécessité de contraintes fortes quand il va falloir fabriquer les valves de sécurité d’une centrale nucléaire, ou pour exécuter une opération à cœur ouvert. Il y a un objectif précis à atteindre, et il est à la fois indispensable et facile de déterminer les paramètres du succès. Mais en matière d’éducation ? Qui peut définir l’objectif à atteindre en termes de paramètres chiffrés ? Nul ne sait ce que cet enfant deviendra, quel rôle il aura à jouer dans le monde et à quoi il importe de le préparer.
Cela n’empêche évidemment pas certaines personnes d’essayer de délimiter étroitement les critères d’une éducation réussie. À un extrême du spectre, tous les régimes autoritaires endoctrinent les enfants, tentent de les façonner, d’élaguer férocement l’arbre des possibles pour s’assurer que ces enfants ne deviendront rien d’autre que ce que l’état totalitaire souhaite.
Même dans les sociétés démocratiques libérales (au sens de : basées sur la liberté individuelle), toutes les tentatives de faire rentrer les enfants dans des cases très étroites ont des relents totalitaires. Il y a toujours une tension dans les débats publics sur l’éducation entre la volonté de « préparer les enfants pour le marché du travail » et l’idée que l’école devrait développer des capacités transversales. On peut en effet se demander si l’éducation a pour but de préparer les enfants à la contrainte ou à la liberté.
De façon générale, il est notable que la question de la définition du succès de l’éducation, et donc profondément, de son but, reste élusive. Pour citer Phillipe Perrenoud, « c’est quand on impose une fiction d’homogénéité qu’on transforme les différences individuelles en réussite et en échec. » Si la réussite se mesure en notes sur vingt obtenue lors d’un examen, alors certains enfants peuvent être « en échec », et il peut être nécessaire de leur imposer des contraintes pour leur permettre de franchir cette barre bien spécifique. Mais de tels critères sont extrêmement arbitraires, répondant à un moment spécifique de l’histoire et de la culture.
Si, à l’instar de Maria Montessori, les critères du succès éducatif sont définis autrement, comme le plein épanouissement de l’individu, l’accomplissement de son potentiel sur le plan cognitif, social, émotionnel, psychologique et physique, alors deux idées émergent.
La première c’est que la réussite ou l’échec d’un tel « programme » ne sont pas à chercher chez l’enfant. L’enfant est biologiquement programmé pour devenir la meilleure version de lui-même, et c’est à nous adultes de lui fournir les meilleures conditions pour cela. Aucun enfant ne peut échouer à devenir qui il est. Nous, adultes, pouvons échouer à lui offrir les conditions de vie, les expériences qui lui permettront de le faire de façon optimale.
La deuxième, c’est qu’une telle réussite ne peut être obtenue que par la liberté et non par la contrainte. C’est uniquement par l’usage de sa liberté que l’enfant pourra explorer et découvrir ce chemin qui est le sien. Personne d’autre que lui ne peut le parcourir à sa place. Personne d’autre ne le connait. Lui-même n’en a pas conscience. Il aura besoin d’explorer, de chercher pour le trouver. Il y aura donc des essais, des impasses, des retours en arrière. Un tel processus n’est pas une ligne droite où des contraintes nous permettraient de garder le cap et d’aller au plus rapide, mais une lente découverte où seule la liberté nous permet de prendre le temps et les détours nécessaires pour aboutir au véritable but.
L’éducation traditionnelle, transmissive, est trop souvent une éducation à la contrainte, qui vise à former les enfants à une concentration immobile, solitaire et silencieuse. Les enfants qui développent la capacité à effectuer des études longues sont des enfants qui sont, à minima, capables d’accepter, de supporter, les contraintes imposées par le système éducatif.
L’éducation Montessori doit, elle, enseigner la liberté. La liberté donnée à l’enfant n’est pas un abandon à ses pulsions naturelles. C’est un travail long et exigeant, qui va s’appuyer sur le développement de la volonté de l’enfant, de son sens moral, de ses capacités sociales.
C’est parce qu’elle est indispensable au développement de l’enfant que la liberté doit être soigneusement considérée, et sa maîtrise accompagnée tout le long de l’éducation de l’enfant. C’est sur l’implémentation adaptée d’une liberté correspondant aux capacités de l’enfant, au sein d’un environnement préparé que toute la réussite de la pédagogie Montessori repose.
Comme le dit Maria Montessori dans la formation de l’homme :
« Nous pouvons affirmer avec certitude, après plus de quarante ans d’expériences, et à partir de preuves répétées obtenues parmi toutes les races [sic] partout dans le monde que la discipline spontanée a été la base sur laquelle reposait tous les autres résultats étonnants, comme par exemple, l’explosion de l’écriture et toutes ces formes de progrès, qui est devenu évident plus tard »
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