L’observation à la Maison des Enfants

« La clé de toute la pédagogie se trouve certainement en ceci : savoir reconnaître les instants précieux de la concentration, pour les utiliser dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des chiffres, puis, plus tard, de la grammaire, de l’arithmétique, des langues étrangères, etc (…) Il ne s’agit donc que de cela : utiliser la force intérieure de l’enfant pour sa propre éducation.»

 

(Maria Montessori, L’enfant dans la famille)
 
Article rédigé par Isabelle SECHAUD, formatrice AMI 3-6 à l’Institut Supérieur Maria Montessori

L’observation en Maison des Enfants

Accompagner l’enfant sur le chemin de l’éducation comme une aide à la vie, requiert une observation fine du développement de la vie.

Cela nécessite pour l’adulte d’avoir le courage de renoncer à la sécurité du contrôle de l’erreur ou de l’efficacité pédagogique par la vérification du seul lien de cause à effet entre une action pédagogique et un résultat d’apprentissage chez l’enfant.

Le développement des apprentissages chez l’enfant est bien sûr une partie importante de la finalité du travail de tout éducateur…. Mais la question des apprentissages devient une question de nature technique détachée du développement de la vie si elle est dissociée de la question du développement de la personne qui s’approprie ces apprentissages. Si cette dichotomie s’installe, alors, nous sortons du chemin montessorien.

Pour y demeurer, nous devons interroger la qualité et la nature du processus de construction à l’œuvre chez l’enfant. Comment les apprentissages viennent-ils nourrir – ou pas – la construction de la personnalité ? En quoi les apprentissages vont-ils autant renforcer que permettre l’expression de la confiance en soi, la volonté, la capacité de collaborer ? A quoi cela sert-il de connaître ses tables de multiplication si le chemin d’apprentissage a été tellement difficile voire douloureux que cette connaissance restera assombrie par le doute et ne renforcera pas la confiance en soi, le sentiment d’être ajusté au monde, le sentiment grisant de la force intellectuelle, toutes ces forces ayant pour finalité d’être un appui fort pour l’ouverture aux autres ? Les calculatrices comblent les défaillances de la mémorisation des tables mais qu’en est-il des défaillances dans la construction globale de la personne ?

Maria Montessori nous propose une vision holistique au cœur de laquelle siège l’attention portée à la bonne santé psychique. De mon point de vue, ici s’origine la bienveillance dont on parle beaucoup aujourd’hui.

Maria Montessori exhorte les adultes à changer de regard et à considérer le développement des apprentissages dans une relation d’interdépendance avec le développement global de l’être humain. Ainsi, l’apprentissage de la lecture, du calcul ne sont plus uniquement une question de compétences qu’il est nécessaire d’acquérir mais avant tout un moyen de construire et d’exprimer son humanité vécue comme un épanouissement du potentiel individuel.

Ce que l’enfant manipule pour se construire, ce sont des aides au développement et non de simples outils didactiques.

L’activité autonome de l’enfant qu’un environnement préparé adéquatement lui permet de vivre, est la véritable clé de son développement.

« La clé de toute la pédagogie se trouve certainement en ceci : savoir reconnaître les instants précieux de la concentration, pour les utiliser dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, des chiffres, puis, plus tard, de la grammaire, de l’arithmétique, des langues étrangères, etc (…) Il ne s’agit donc que de cela : utiliser la force intérieure de l’enfant pour sa propre éducation.»

(Maria Montessori, L’enfant dans la famille)

Nous devons en déduire que notre objectif sera donc justement de favoriser le développement de cette force intérieure. Il s’agira donc d’aider l’enfant à trouver le chemin de la concentration.

Bien connaître les aides au développement, en comprendre les progressions et les finalités est un socle de sécurité pour l’adulte préparé qui pourra ainsi libérer sa capacité à observer finement les effets chez l’enfant de la manipulation des aides au développement.

Ces effets étant de nature psychique, ils sont observables à travers leur seul aspect extériorisé: le mouvement.

Ici il faut entendre le mouvement non seulement dans son sens habituel mais aussi comme élan vers le milieu matériel et humain. Le langage est mouvement, la relation est mouvement, la pensée est mouvement…. A nous d’observer si ce mouvement se fait de façon ordonnée ou pas, s’il alimente une compréhension cohérente du monde et de la façon d’y agir et interagir.

Pour parvenir à cela, l’adulte préparé cultivera sa capacité à discerner finement les subtiles étapes de cette émergence et leur articulation menant du chaos à la possible concentration profonde, étapes qui jalonnent le chemin du processus de normalisation.

Il nous faudra repérer les éphémères et irrégulières manifestations de l’éveil de l’attention qui deviendront intérêt et s’associeront progressivement à la possibilité de choisir.

« Il n’est pas toujours nécessaire de découvrir de grandes choses, mais il est d’une importance capitale de découvrir les commencements. Aux origines, on voit de petites lueurs. »

(Maria Montessori, L’éducation et la paix

Ce choix se renforcera jusqu’à devenir un libre choix et un tremplin de plus en plus fort pour l’engagement dans l’activité qui s’arrimera au phénomène de la polarisation de l’attention et alimentera toujours plus le développement de la volonté, la recherche d’exactitude, forces qui produiront une autre force motrice : la concentration. L’expérience de la concentration, de l’engagement dans l’activité est une expérience profonde et bonne où corps et esprit collaborent assurant ainsi le développement et le maintien d’un équilibre intérieur.

La concentration est véritablement l’état intérieur propice au développement naturel de la construction de l’individu adapté à son temps et à son espace et porteur de transformations ; c’est le creuset dans lequel se fait l’alchimie rendant possible l’auto-éducation. A la Maison des Enfants cela se traduira par l’émergence de la discipline intérieure et de la liberté intérieure, clés du développement social et appui pour poursuivre son épanouissement grâce à la proposition de l’éducation cosmique en élémentaire et de la communauté d’adolescents ensuite.

En d’autres termes, le changement de regard auquel nous exhorte Maria Montessori est de voir au-delà du résultat concret et de l’évaluation : sait faire / ne sait pas faire qui est lié à la réalisation du but direct de l’activité. Regardons au-delà de l’évidence des apparences pour percevoir les subtiles manifestations du développement intérieur de l’être humain. Le chemin menant à cela peut être balisé de façon très claire : observer si et comment l’effort de précision pour réaliser le but direct génère l’état de concentration qui conditionne la

réalisation des buts indirects. Le suivi ne peut se réduire à noter présenté/ encours d’acquisition / acquis il doit être associé au suivi des marqueurs de l’ordre intérieur : la répétition, le temps d’engagement dans l’activité, les manifestations physiques de la concentration…. L’adulte doit repérer ces fils de cohérence pour orienter l’enfant vers les activités qui génèrent cet état intérieur et avoir l’indéfectible confiance que quels que soient les apprentissages à réaliser, l’enfant sera prêt à se les approprier et à véritablement en ressortir renforcé et heureux.

A la lumière de ce que nous venons de dire, pensons aux jeunes enfants qui vont rejoindre une Maison des Enfants en septembre et aux ressources dont nous disposons pour les accueillir et les aider à s’orienter. La longue liste des exercices préliminaires est justement là pour commencer cet enchaînement vertueux : faire des propositions nombreuses et diversifiées afin que l’intérêt émerge et entraîne l’exercice du choix. Lorsque le fil ténu de l’intérêt apparaît, s’en saisir et proposer à l’enfant les activités similaires susceptibles de renforcer le vécu bon de l’intérêt éprouvé et assouvi, du choix et de l’engagement. Aucune loi ne détermine s’il faut ouvrir et fermer des flacons avant ou après presser une éponge ou découper du papier ! Ces activités font partie d’un panel de propositions pour guider les premiers pas de l’enfant sur les chemins de l’activité autonome dont la ligne d’horizon s’appelle par exemple leçon de silence, alias émergence de la société par cohésion, préparation indirecte à un possible vécu conscient de la société par choix et au-delà encore, espoir que ces enfants formeront les adultes qui sauront ouvrir de nouveaux horizons à notre société et auront peut-être une chance de trouver un chemin de Paix.

Sur ces chemins, l’enfant garde en main les clés de son développement et de la destination de la réalisation de son potentiel. L’adulte, quant à lui, se met dans une démarche de nature scientifique.

Article rédigé par Isabelle SECHAUD, formatrice AMI 3-6 à l’Institut Supérieur Maria Montessori.

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